Chers amis, chères amies
Honoré de présider cette grande réunion annuelle de notre amicale, j'aurais aimé vous dire quelques-uns des grands moments de mes années normaliennes : bons ou moins bons, (je pense aux fanatiques du bizutage) ou quelque bonne blague dont on rit encore et qui aurait ravivé en vous bien des souvenirs de notre jeunesse.
Mais, ces moments-là, vous les avez presque tous vécus dans cette vieille École Normale.
J'aurais aimé évoquer ce principe majeur de notre République, gage d'équilibre social, la laïcité. La laïcité à l'école, dans l'école, la laïcité dans une société qui se satisfait trop souvent de la présence du mot dans le préambule de notre Constitution. La laïcité, principe de liberté de conscience, mais aussi fondement de l'égalité homme-femme et du rejet de toutes les discriminations notamment d'ordre religieux.
J'aurais souhaité souligner ce que nous, citoyens, enseignantes et enseignants attendons du renouvellement politique aujourd'hui en débat, un débat qui, parce qu'il met en jeu notre avenir et celui de la France, requiert attention, vigilance et participation.
J'aurais aimé aussi montrer comment et pourquoi les enseignements français ont pris tant de retard sur les grands pays du monde, notamment dans le domaine des sciences exactes, et souligner l'exigence politique majeure qui demeure, d'une priorité nationale à l'éducation et à la formation tant initiale que continue.
J'aurais aimé ....
Mais les circonstances imposent d'autres préoccupations majeures, d'autres souvenirs que certains d'entre vous sans doute, n'ont pas oublié : cette inquiétude, cette peur diffuse de la guerre même quand elle paraît lointaine, comme nos familles l'ont vécu pendant la « drôle de guerre » en 1939. Puis la peur panique qui a conduit tant de gens sur les routes de l'exode.
Les images de cette époque, nous les avons vues plus tard, quand la guerre était finie. Aujourd'hui, celles de l'invasion meurtrière de l'Ukraine par la Russie, aux frontières de l'Europe, envahissent nos écrans et créent la stupeur après 60 ans de paix ! Nous avons cru la paix définitive en Europe et oublié les horreurs de la guerre.
Nous, enseignants, que ferions-nous, que dirions-nous, que disons-nous, face à ces élèves d'aujourd'hui, à ces enfants et adolescents gavés de violence banalisée et d'images de guerre, qui inondent nos écrans ? Face à cette guerre en Ukraine, si ordinaire dans sa terreur ? C'est aux jeunes générations que je pense, à nos enfants devenus parents, à nos petits-enfants. Ils découvrent ce que les plus anciens d'entre nous avaient enfoui dans leur mémoire et espéraient que rien n'en sortirait jamais.
Imaginons une courte fable :
Nous avons un fablier, vous le connaissez, c'est Jean de la Fontaine, et nous avons un enfant. Il a 8 ou 9 ans. L'enfant dit au poète :
- Je connais ton histoire du loup et du petit mouton. Mais dis-moi pourquoi le bélier du troupeau ne s'est pas jeté sur le loup à coup de cornes. Le loup aurait eu peur et se serait enfui.
De la Fontaine hésite un peu et répond à l'enfant :
- Le bélier est vieux et ses cornes étaient peut-être usées.
- Mais, dit l'enfant, il y a aussi dans le troupeau de jeunes béliers, et même des brebis très fortes. Ensemble, ils auraient pu essayer.
- Essayer quoi? dit la Fontaine «la raison du plus fort »...
- Arrête, dit l'enfant, arrête, je sais ce que tu penses. Mais le berger, lui, a un gros bâton, il aurait pu au moins le montrer au loup, le dissuader
Comme tu parles bien, murmure La Fontaine.
- Un bâton, oui, mais le berger est vieux et il s'appuie dessus !
Alors dit l'enfant en pleurs il n'y a donc rien à faire ...la raison du plus fort...
Jean de la Fontaine disparaît peu à peu et l'enfant, seul, s'écrie : « Non, non, la raison du plus fort n'est jamais la meilleure. »
Relisons maintenant Victor Hugo. Il écrit en 1828, au moment de l'écrasement de la révolte des Grecs par l'Empire ottoman :
Les Turcs sont passés par là. Tout est ruine et deuil
Chio, l’île des vins n'est plus qu'un sombre écueil
Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis…
Que veux-tu ? Bel enfant que faut-il te donner ?...
Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles.
André Henry
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